Peut-on se libérer du poids d’un passé douloureux par un travail d'écriture ?

Soumis par f.salliou le mer 25/10/2023 - 10:24
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Se remémorer ses souvenirs et écrire aide-t-il ou n’aide-t-il pas à surmonter des obstacles ? Le travail d’écriture est-il libérateur ? Noircir sur une feuille blanche des événements de son passé facilite-t-il le travail de résilience ? Oui et non, tout dépend de l’intention et du travail réalisé, nous explique Boris Cyrulnik, écrivain, psychologue, psychiatre, neurologue et psychanalyste. Le travail d’écriture peut-être un outil de résilience que si si et seulement s’il permet à son auteur de transformer son histoire…

Ce n'est pas l'acte de parole qui apaise, c'est le travail de la recherche des mots et des images, l'agencement des idées qui entraîne à la maîtrise des émotions, Boris Cyrulnik, “La nuit, j’écrirai des soleils”

“Les effets thérapeutiques de l’écriture sont démontrés. Mais à condition de faire l’élaboration de ses souvenirs,” raconte Boris Cyrulnik à Anne Laure Gannac et Pascale Senk pour le magazine Psychologie numéro 79, et de rajouter: “Jorge Semprun dit que, tout juste après la guerre, il a voulu témoigner, mais “ses brouillons saignaient”. Parce qu’il ne faisait que rappeler les souvenirs sans les métamorphoser. Il ne s’agit pas de ruminer, car la répétition de ses malheurs renforce le mal, mais d’élaborer - un terme qui vient de “labor”, “travail”."

"Quand on écrit, on rature, on "grafouille", on remanie, et le travail de la main permet aussi de travailler la parole écrite. Primo Levi, lui, a voulu témoigner dans un esprit de revanche. Et cela l’a mené au suicide. Écrire pour entretenir la plaie ne peut que renforcer le syndrome psychotraumatique, c’est rester prisonnier du passé."

"Si j’avais écrit mon autobiographie pour dire: “J’ai souffert, j’ai été malheureux, je n’avais pas de parents, etc.”, j’aurais été sur le tapis roulant de la dépression. Alors que, en écrivant pour comprendre, pour retourner sur les lieux du passé et pour confronter ce qu’il y avait dans ma mémoire aux archives, aux souvenirs des autres, je n’ai pas fait un travail de mémoire, j’ai fait un travail “sur” ma mémoire. Cela devenait donc amusant, comme une enquête policière menée sur la représentation, au sens théâtral, de mon passé.”

La création d'un monde de mots permet d'échapper à l'horreur du réel en éprouvant au fond de soi le plaisir provoqué par une poésie, une fable, une belle idée, une chanson qui métamorphose la réalité et la rend supportable, “La nuit, j’écrirai des soleils”

Travailler ses souvenirs est primordial. Comme l’explique l’écrivain et psychologue Christophe André: “Notre cerveau n’oublie rien, n’efface rien, il ne fait qu’empiler les souvenirs de tout ce que nous avons croisé dans nos vies, comme un collectionneur fou empilerait les objets dans une immense mai son aux pièces innombrables. Certains de ces objets sont mis bien en apparence pour les visiteurs (ce sont nos souvenirs avouables) ; il y en a d’autres que nous ne montrons jamais (ce sont nos souvenirs inavouables) ; et certains sont rangés depuis si longtemps, on ne sait plus où, que nous en avons-nous-même oublié l’existence (ce sont nos souvenirs enfouis)."

Et de rajouter: "Notre passé, notre passé à nous, pas celui de nos éventuels biographes, notre passé donc n’est pas seulement un empilage objectif et exhaustif de l’ensemble de nos souvenirs, mais un récit partiel, sélectif, subjectif : il est fait des souvenirs que l’on garde ou que l’on écarte, des souvenirs qui se rappellent à nous et de ceux qui se retirent d’eux-mêmes, et aussi des souvenirs que l’on invente… C’est pour cela que les neurologues nomment cette forme de mémoire, celle de notre histoire, la "mémoire épisodique", c’est-à-dire la mémoire de nos épisodes de vie.”

Il ne suffit pas de témoigner d’un trauma pour s’en libérer

Ne pas faire un travail de mémoire, mais un travail “sur” la mémoire. En quelque sorte discuter avec elle, la mettre en balance avec la mémoire d’autres personnes. Écrire avec et au-delà de ses souvenirs, les contextualiser, les confronter à d’autres témoignages, d’autres points de vue ; voilà une écriture qui peut nous aider à, si ce n’est nous libérer, au moins nous soulager du poids d’un passé douloureux. En résumé, en empruntant la pensée de Boris Cyrulnik: Ne pas que raconter son histoire, mais en faire quelque chose, "agencer les mots de manière à remanier le traumatisme", à le chambouler, à le transcender, à le transformer.

Sources

  • "Quand je me tourne vers mes souvenirs", mardi 17 octobre 2023, France Inter, Chronique de Christophe André: https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/choses-vues/choses-vues-christophe-andre-du-mardi-17-octobre-2023-2913665
  • “Faire du temps son allié”, Psychologies, Hors-série, numéro 79, octobre-novembre 2023
  • "La nuit, j’écrirai des soleils", Boris Cyrulnik, Odile Jacob, 304 pages
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