La paix ça s'apprend, Thomas d'Ansembourg et David Van Reybrouck

Soumis par Anonyme (non vérifié) le mar 31/10/2017 - 00:00
paix

Des individus intérieurement apaisés formeront une société plus harmonieuse

Mercredi 25 octobre 2017, 20h15, au Studio 4 à Flagey - Bruxelles. Au lieu de compenser les effets de la violence, et si on essayait de creuser en amont. Et si nous tentions d’en comprendre les raisons, et d’esquisser des solutions. Et si nous tentions de guérir de la violence et du terrorisme. Nous sommes en novembre 2015, quelques jours après le drame du Bataclan ; Thomas d’Ansembourg et David Van Reybrouck conversent au téléphone et élaborent ce qui deviendra "La Paix, ça s’apprend". Un livre qu’il nous présente ce mercredi 25 octobre 2017. "Je fais partie d’une génération qui a connu le service militaire," explique Thomas, "et pendant 14 mois j’ai appris, avec mon régiment, à faire la guerre. Imaginez si j’avais appris, ne serait-ce que pendant quelques mois, à faire la paix." Si nous savons faire la guerre, alors il n’y a pas de raison que nous ne sachions pas faire la paix. Et comment ? Quels messages souhaitent-ils faire passer via ce bouquin ? Retour sur cette soirée, et sur cette belle complicité entre Thomas et David, agréable à écouter et à voir sur scène.

La notion de paix

Levez la main. "Qui est à l’aise dans la pratique d’un sport quelconque ? Qui est à l’aise avec le fait de conduire une voiture ? Ou de parler une deuxième langue ?," demande en rafale Thomas d’Ansembourg. "Je vois que tout le public à levé la main au moins une fois. Et maintenant, qui est à l’aise lorsqu’il s’agit de retrouver la paix ? Énormément moins de bras levé, et pour ne pas dire aucun: qu’est-ce qui fait cela ? D’où cela vient-il ? Pourquoi, afin de traverser les intempéries de notre existence que nous connaissons tous à un moment ou à un autre, n’y a-t-il pas d'apprentissage de la paix ?"

Vivre en paix n'est pas nécessairement vivre sans conflits, mais avec nos conflits. C'est vivre de telle manière que nos conflits se résolvent, ou au moins se régulent et deviennent gérables, sans qu'ils entraînent de la violence, de la haine ou la guerre

"Personnellement, je me suis formé à de nombreuses disciplines, que j’ai pratiqué sur moi - et pour moi et mes proches. J’ai fait des efforts, j’ai consacré du temps, c’est cela la recette d'un apprentissage. Et je reste convaincu d’une chose: si nous savons faire la guerre, alors il n’y a pas de raison que nous ne sachions pas faire la paix."

Toutefois, lorsqu’il s’agit de paix, "il y a deux choses qu’ignore une grande partie des gens," explique Thomas d’Ansembourg:

  • La paix est tout sauf un monde de "bisounours". Cela ne tombe pas du ciel. La paix, c’est une discipline qui prend du temps. Il faut notamment apprendre qui nous sommes et nous défaire de nos vieux mécanismes.
  • Pour apprendre la paix, il existe des techniques éprouvées, dont beaucoup, malheureusement, ne sont pas assez connus. Dans notre ouvrage, nous en avons sélectionnés trois: la Communication non Violente (CNV), la Pleine conscience et la Bienveillance.

Et à David Van Reybrouck de renchérir, "je vais vous raconter une histoire. Je suis flamand, j’ai donc un vélo, mais je suis un piètre cycliste. Un jour, moi et mon frère, qui s’appelle Thomas - un autre grand Thomas dans ma vie - sommes partis faire une balade à vélo - c’était du côté de Caen. Pendant notre excursion, nous avons croisé d’autres cyclistes qui, devant nous, haranguaient un homme qui maltraitait son chat. Les cyclistes passaient devant lui, sans s'arrêter, et le vilipendaient. A notre tour, lorsque nous sommes passés à côté du tortionnaire de chat, mon frère, qui est psychothérapeute, s’arrêta, posa sa bécane, capta le regard de l’homme et lui dit: “On peut tellement aimer son chat qu’on peut le tuer”. D'abord surpris, l’homme a regardé Thomas, s’est arrêté de maltraiter le félin et s’est, ensuite, spontanément confié à mon frère. Qui a écouté. C’est là que j’ai pris conscience qu’une partie essentielle de la communication, c’est l’écoute. La centralité de l’écoute, sans jugement. Juste écouter. Une compétence qui se perd, malheureusement."

 

"Je vais rajouter une chose," dit David. "En ce moment, vivre en paix, c’est vivre en sécurité. Et pour vivre en sécurité, il faut installer des militaires dans la ville, adopter de stricte procédure juridique, une politique plus forte, etc. et tout ceci est probablement, et à des degrés moindre, utile. Le gouvernement avait sans doute de bonnes raisons de mettre cela en place. Mais ce n’est pas vivre en paix. Toutes ces choses ne promeuvent pas la paix. On confond deux choses : vivre en sécurité et vivre en paix. Penser que sécuriser une société revient à la pacifier serait une erreur grave."

"Ce mot “Paix”, c’est un mot qu’on lit dès la première phrase de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948. Il apparaît dans le préambule de la Charte des Nations Unis de 1945. On le rencontre pas moins de sept fois dans le texte fondateur de la construction européenne, cette demi page à l’origine de la CECA de 1951. Aujourd’hui, ce mot suscite souvent chez ceux qui l’entendent un certain malaise, presque une gêne. Nous ne voyons pas le rapport entre la paix politique et la paix intérieure. Nous pensons que la paix tombe du ciel, ou qu’elle vient exclusivement du monde extérieur, qu’elle dépend avant tout de l'action politique et des conditions économiques. La paix était un mot politique, c’est devenu un mot psychologique. Et nous avons cette volonté de réinstaurer à côté de cette notion psychologique, cette notion politique. La paix est aussi politique, la paix est collectif."

"Une anecdote. Je suis écrivain, j’ai notamment écris Congo, et tous mes livres sont classés dans le rayon Politique et Histoire. Lorsque j’ai co-écris ce livre avec Thomas, les libraires sont devenus fous. “David, ce nouveau bouquin où le rangeons-nous ?” Dans nos librairies, nous avons pris soin de bien séparer le rayon Politique et Histoire du rayon Développement personnel, celui-ci étant considéré comme plus “féminin”, plus privé, plus rose et donc éloigné du monde “vrai”."

"Nous avons tellement dépecé le monde en espaces extérieur et intérieur que nous ne savons plus penser la paix. Cette idée de scinder cette notion de paix est tragique. Le livre tente de penser, à la fois, les deux paix, intérieure et extérieure, d’un point de vue politique et psychologique."

De la recherche du contentement et de l’enchantement

"Pourquoi se lève-t-on le matin ? Nous avons toute une logistique: faire du café, se laver, emmener les enfants à l’école, chercher le journal, se rendre au boulot, prendre un autre café, etc.," questionne Thomas. "En fait, nous nous levons pour autre chose. Et cette autre chose est que nous nous levons pour nous enchanter, être en vie et partager l’enchantement de cette vie avec d’autres. Nous cherchons à nous sentir vivant."

"Et il y a des outils pour rester et revenir dans cet enchantement - cet état de paix intérieur, de profond contentement."

D'où ce paradoxe, "nous recherchons le contentement et nous ne le vivons pas, pourquoi ? Nous ne sommes pas programmés pour cela. Notre éducation est basée, au niveau des rapports humains, sur la méfiance, le rejet, la contraction. Pas sur le sens ouverture, l’entraide, la confiance et la cohabitation au delà des différences."

 

Et pourtant, cela a-t-il toujours été le cas ? "L’enfant est dans l’enchantement, il chevauche en permanence cet état de vie. L’enfant est là, dans le présent - et nous, adulte, il nous faut méditer avant de revenir dans l’ici et le maintenant. Nous, adulte, nous faisons quelque chose car il est temps de le faire, car c’est l’heure de le faire. Nous sommes cloisonnés. Nous nous conformons à la norme, nous sommes pris dans l’enfer, dans l’enfer-mement. Sans liberté, sans possibilité de prendre du recul. Et chaque jour, il y a une tension entre la vie que je vis et la vie que je souhaite vivre. Bien entendu, nous avons mis en place des mécanismes compensatoires afin de pencher vers cette vie souhaitée: le temps d'une bière, le temps d’un médicament, etc."

"Dans nos sociétés, nous avons appris à compenser le mal être plus qu’à nourrir le bien-être. Comment je fonctionne ? Peut-être est-il temps de s'asseoir sur la chaise du discernement. Peut-être est-il temps de se questionner sur soi, pour nous ré-aligner sur notre flux de vie, notre être profond. Un citoyen pacifié, devient pacifiant. Un individu inspirant, aspire."

Vers un changement ? La preuve par l’Histoire

"Dans une école de la ville de Baltimore, et non pas une école d’élite, dont les enfants ont entre 6 et 12 ans, deux adultes - qui avaient sombré dans la drogue et qui ne souhaitaient pas que cela arrive à la nouvelle génération - ont proposé de tester des outils: comme 5 minutes de respiration chaque jour, le matin, quelques exercices de Yoga," explique David. "Après quelques mois, le taux de retenu des élèves de cette école avait chuté drastiquement: il n’y en avait plus."

"Bien sur, il y avait des conflits, les conflits font partie de la vie. Mais ils étaient discutés. A chaque querelle, un médiateur était présent et les enfants discutaient de leurs conflits. La méditation, le yoga, instaurer une forme de communication non violente, ce n'est pas commun, c’est sans doute curieux - je vous l'accorde."

"Songeons un instant au XIX siècle. A cette époque, on trouvait tout aussi curieux de proposer des cours de gymnastique à nos enfants. Des recherches scientifiques commençaient à dire: ce serait bien que nos enfants fassent des activités sportives, de la gym. Tous ces enfants de la campagne, qui en ville, avec l’urbanisation, étaient constamment assis n'affichaient pas une belle santé. A l’époque les parents n’étaient pas pour: de la gym, du sport, cela ne va pas libérer leur libido ? Ne va-t-on pas voir une frénésie érotique déferler dans les écoles ? Ne valait-il pas mieux qu’ils restent sagement assis à leur place ? Faire de la gymnastique, une ruse pour préparer les enfants à faire l’armée ou à former des ouvriers ? "

"Puis, en Suède, en 1900 et quelques, on a commencé à tenter l’expérience, et à mesurer les effets. Un succès. D’ailleurs, les grands banc en bois que l’on voit dans les salles de sport se nomment "banc suédois". La gymnastique, d’abord jugée ridicule, est aujourd’hui une mesure d’hygiène de vie et de santé. La gymnastique ne rend ni inquiet, ni fiévreux ou lubrique: elle contribue au bon développement physique et moteur de l’enfant."

"Il y a quelques temps, les parlementaires du parlement britannique ont testé la pleine conscience. Pendant un an, ils l'ont expérimenté sur eux, ils sont allés à des conférences, ont interviewé des experts, ont organisé des rencontres. Au début, ils étaient très sceptiques. Et au final, au terme de leur recherche, ils ont remis un rapport: de l’utilité de la pleine conscience, en terme de santé, et de la nécessité de l’instaurer dans les écoles, les prisons, les entreprises, etc. "

L’un des parlementaires qui a testé la pleine conscience a même dit: “Bien que sceptique au début, je n’ai pas manqué une seule séance et maintenant que j’ai fini la formation, je suis convaincu. Il serait logique que nous ayons recours à des techniques simples qui nous aideraient à nous rappeler que nous vivons dans l’instant et devons apprécier le moment présent.”"

"L’Angleterre a libéré des fonds et 70 écoles testent la pleine conscience. C’est peut-être le nouveau banc suédois." Qui sait ?

De la nécessité de modifier nos systèmes de pensée

"Si nous faisons ce que nous avons toujours fait, nous obtenons ce que nous avons toujours obtenu. Si on veut obtenir autre chose, je dois faire autrement. Mais comment faire autrement si je pense pareil, de la même façon ?" interroge Thomas d’Ansembourg.

"Il faut passer par le siège du discernement, prendre du recul: changer de système de pensée. Penser autrement. Par exemple, dans la résolution des conflits, nous sommes, pour beaucoup, encore dans la résolution "gourdin grotte". Sans respect, sans prise de connaissance - sans écoute active."

"Si nous voulons changer le monde, nous devons commencer par nous changer nous-mêmes. Nous avons besoin de démanteler nos systèmes de pensée, et de nous transformer. Nous avons besoin de bien comprendre le “je”, pour comprendre le “tu”, et créer du “nous”. En trois mots: pour vivre ensemble."

"Si vis pacem para bellum, engagez-vous, nous avons un ministre de la guerre. Il y a des crédits, de l’argent pour se préparer à la guerre. Et comme l’attention est portée sur la guerre, telle une prophétie auto-réalisatrice, la guerre survient. J’étais de la génération qui a fait son service militaire: pendant 14 mois, j’ai appris la guerre. Et si pendant ces quelques mois, et même qu'une partie, j’avais appris la “paix” ? Et si nous avions un ministère de la paix ? Si on recherchait la paix ? Si tu veux la paix, prépare-la. Apprendre à transformer la violence - bête et méchante - en conflit: où l’on écoute activement, discute, négocie - un travail fécond. Écouter ce que l’autre dit, percevoir la partie émergée de l’iceberg dans cette écoute, c’est du boulot. Oui, et pour un bien. Avant j’étais dans le faire, je ne savais pas réellement écouter. Je nourrissais pas du “nous”. Tu as ce problème, on va faire ça, ou ça. Du faire, toujours du faire. J’ai pris du temps pour changer. Rappelons-nous: "On ne voit bien qu'avec le coeur, l'essentiel est invisible pour les yeux", écrivait Saint-Exupéry"

Vers une hygiène psychique, une nouvelle normalité ?

"Et si nous développions une hygiène psychique, comme nous avons développé une hygiène physique ? Se brosser les dents, se laver les mains, etc., si naturels que ces gestes sont pour vous, cela n’a pas toujours été le cas," explique Thomas. "Dès lors, développons maintenant une hygiène psychique, afin qu’elle devienne normal. Prenons l’habitude de prendre une “douche psychique” après chaque journée de boulot. Afin de nous réaligner, de retrouver notre être profond, de nous nettoyer de toutes ses tensions accumulées au cours d’une journée - et, par exemple, ne plus les exporter vers son enfant: qui devient comme un exutoire. Et à l’enfant d'encoder sur son disque dur intérieur cette chaine de conséquence, "logique": un adulte, de la force, du pouvoir, et une réaction forte. C’est la violence éducative ordinaire. La puissance, c’est la méthode, disait Nietzsche. Plus on devient aimant, plus on aimante."

Et à David de rajouter: "Nous sommes propres de l’extérieur, et sales de l’intérieur. Nous soignons nos dents, notre peau, pas notre être. Dans les années 50, en terme d’éducation, nous disions aux petits flamands de se taire, il avait le droit de se taire, et puis, dans les années 90, ils avaient le droit d’hurler, et maintenant ils ont le droit de parler et d’écouter. Car, à partir de septembre de l’année prochaine sera instaurée dans les écoles flamandes, et je vous l’annonce, une communication reliante - qui est un autre nom pour Communication non Violente."

"Sans paix intérieure, pas de paix extérieure," explique Thomas. "Pour vraiment bien communiquer, il est urgent d’apprendre à renoncer à la prétention d’avoir raison, source de tant de tensions. “Nous avons un choix fondamental dans la vie, dans l’existence: être heureux, ou avoir raison”, disait Marshall Rosenberg, fondateur de la CNV."

"La démocratie sert à pacifier les tensions dans une société, tout comme la contemplation (ou pleine conscience) sert à pacifier les tensions dans notre être," conclu David, et de rajouter: "Quand on regarde la vie privée de certains grands dirigeants, Nelson Mandela, Vaclav Havel, on se rend compte à quel point leur action a été nourrie par une sérénité interne, par une connaissance d’eux-mêmes très profonde, par une capacité à ne pas se mentir à eux-mêmes et une habilité à se créer des moments de silence et de contemplation dans des existences très occupées."

Pour aller plus loin:

Article rédigé par McGulfin / Fabien Salliou

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