Guide pratique du psychothérapeute humaniste par Anne et Serge Ginger

Soumis par Anonyme (non vérifié) le mer 02/01/2008 - 00:00
compass

Anne et Serge Ginger

CHASSE AUX IDEES RECUES
La psychothérapie ne vise évidemment pas à changer les événements, mais à changer le regard sur les événements.

Elle ne transforme objectivement ni le passé, ni même le présent, mais permet une « ré-vision » subjective du présent comme du passé. On ne voit plus le verre à moitié vide, on le voit à moitié plein ! (cf. le « recadrage » en PNL, la « restructuration cognitive » en TCC, le scénario de vie en analyse transactionnelle, les « contre-valorisations » en psychologie de la motivation, etc.).
Nous vous proposons maintenant une petite promenade au hasard dans le jardin de notre quotidien, avec un regard neuf, sans a priori, pour découvrir de nouvelles facettes de notre décor familier, de certaines de nos idées reçues – et parfois « introjectées » sans remise en cause…

Arracher les mauvaises herbes
Pour entretenir son jardin, il faut certes, arracher les mauvaises herbes et retirer la pierraille qui envahit les plates-bandes.
L’ennui est que les herbes repoussent inlassablement ! On a beau retirer les pierres, il en reste toujours : plus on creuse, plus on en trouve, le terre en est lardée !
Plutôt que de m’écorcher les doigts à gratter la terre, à la recherche des cailloux superflus, je ferais mieux de planter des fleurs… y compris sur la rocaille ! Arroser mes fleurs, plutôt que nettoyer éternellement le terrain…
Tel Sisyphe, nous cherchons sans trêve – mais sans espoir- à nous débarrasser de nos fardeaux, de nos faiblesses et de nos défauts, des souvenirs obsédants, des habitudes enracinées, des rêves fallacieux. Nous cherchons à purifier notre existence, à filtrer nos pensées, à élaguer notre comportement, pour atteindre un objectif idéalisé… et bien souvent, hors de notre portée : être heureux et léger, satisfait de nous-mêmes et de notre environnement.
Si l’on a entrepris une psychothérapie, c’est généralement pour pallier une souffrance psychologique, une dépression, une angoisse, un manque, un traumatisme pesant. Quel n’est pas alors l’étonnement de nos clients lorsque nous leur signalons qu’ils peuvent aussi évoquer leurs joies et analyser leurs réussites, et interrompre pour un temps les lamentations qui n’ont été, bien souvent, à l’origine de leur consultation. Ils pensaient n’être là que pour parler sans cesse de leurs problèmes !
Analyser nos difficultés ne suffit pas toujours à les dissiper : cela peut même les entretenir et les dramatiser. Ratiociner sa dépression sur le divan, la nourrit plus que cela ne la tarit. En comprendre les causes lointaines ne suffit pas toujours à les effacer : « l’interprétation nourrit le symptôme », reconnaissait d’ailleurs lui-même le psychanalyste Jacques Lacan.
(…)
Au lieu de tenter de comprendre la source des difficultés, analyser certains de ses succès s’avère souvent plus productif, et permet de les renouveler.
Là encore, entretenir et arroser ses fleurs s’avère plus gratifiant que nettoyer éternellement le terrain…
Non seulement, j’ai droit au bonheur, mais j’ai un devoir de bonheur… pour le rayonner autour de moi :
« Ce que l’on peut faire de plus pour ceux que l’on aime, c’est encore d’être soi-même heureux ». (Alain, in Propos sur le bonheur, 1928).

Struggle for life
Le combat de la vie n’est pas une confrontation primitive et brutale de forces opposées où le plut fort gagne en écrasant le faible, où certaines pulsions l’emportent sur d’autres ; l’évolution est une adaptation réciproque permanente, où chacun s’ajuste en fonction des autres et du champ global de l’interaction.
Le « combat » psychothérapeutique pour l’équilibre personnel et l’harmonie s’apparente davantage aux arts martiaux orientaux : c’est un compromis de chaque instant entre la force, l’intelligence et l’ajustement à la réalité du moment. Ainsi en judo, si un adversaire plus puissant et plus lourd que moi, me pousse, je ne puis résister ; je vais plutôt exploiter sa force à mon propre avantage, et je vais le tirer vers moi, tout en m’esquivant pour le faire chuter : j’aurais ainsi ajouté mon poids au sien et utilisé les circonstances en les retournant à mon profit.
Il en est de même en psychothérapie : on ne peut toujours s’opposer aux événements de la vie, mais on peut inciter le client à chercher un angle de vue sous lequel il puisse en tirer un bénéfice. Mes parents me délaissent : quelle occasion pour développer mon autonomie. Elle m’a trompé : interrogeons-nous sérieusement ensemble sur notre relation… Ce client m’énerve particulièrement : j’exploite mon contre-transfert négatif pour mieux comprendre ce qui induit ses difficultés relationnelles habituelles, tout en analysant en supervision mes points de fragilité personnelle.
Toute difficulté, voire tout échec, devient ainsi une source d’enrichissement.

Faut-il « souffrir pour être belle »
On nous a inculqué l’idée que le bonheur se mérite, qu’il faut gagner le paradis à la sueur de son front. « On n’a rien sans peine ! » Nombreux sont les patients –voire les thérapeutes- qui sont convaincus qu’une « bonne » psychothérapie implique beaucoup de souffrances et de larmes. Cette notion de rédemption par le sacrifice est profondément enracinée dans l’âme humaine, depuis les civilisations primitives, et entretenue par bien des religions – voire par la psychanalyse. Il faut payer cher et longtemps pour obtenir beaucoup !
« Pas cher, pas bon » « Pas long pas profond » ce préjugé ne résiste pas à l’expérience : certains font de gros efforts prolongés en vain, tandis que « la chance » sourit d’emblée à d’autres… Certains sont malades sans l’avoir « mérité », tandis que d’autres jouissent d’une « insolente » bonne santé ! Certaines thérapies s’éternisent dans la douleur, tandis que d’autres sont rapidement efficaces, dans le plaisir. La nature ignore la justice.
On peut être belle sans souffrir… et souffrir sans devenir belle !
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Faut-il tout comprendre ?
Un des buts de la psychothérapie est de mieux se connaître soi-même et de mieux comprendre les autres.
De là à s’imaginer qu’il est bon de tout comprendre, il n’y a qu’un pas !
Or il n’est ni possible – ni souhaitable pour le psychothérapeute – de tout savoir, encore moins de tout comprendre ! L’illusion d’avoir compris rassure notre esprit, mais voile souvent la complexité de la réalité sous des hypothèses réductrices : la plupart des causes –comme des résultats – sont « polysémiques » avec diverses significations simultanées, à divers niveaux.
Si un enfant est dyslexique, cela est dû peut-être à une méthode globale d’apprentissage de la lecture, mais aussi au fait que ses parents ne l’ont pas assez accompagné de leur côté ; cela est dû à des raisons biologiques congénitales (une couche de neurones surnuméraires dans certaines zones de l’hémisphère droit), à un excès de production de testostérone de la mère durant la deuxième partie de la grossesse,, et ainsi de suite : les causes sont multiples, parfois indépendantes, parfois interconnectées. Les résultats sont complexes, eux aussi, puisque parallèlement à sa dyslexie, il a développé des dons pour la musique et pur une perception intuitive de l’autre…

Le mythe de la transparence
Soit ! On ne peut tout comprendre, ni tout expliquer.
Mais, au moins, on peut tout dire. On m’a toujours enseigné les valeurs d’authenticité et de vérité. « Une faute avouée est à moitié pardonnée ». Voire… encore une vision simpliste, héritée du catéchisme maternel de mes premières années. Combien de couples gâchés, voire détruits, par l’aveu naïf d’une aventure passagère !
Chacun a droit à son « jardin secret », dans un couple, dans la famille, mais aussi – quoi qu’on en pense – dans la thérapie.
Qui a décrété qu’il fallait tout dire ? La nature n’est pas transparente : si l’on dénude les racines de l’arbre, il ne peut que s’écrouler ! Lorsque je regarde mon client, je ne vois ni son cœur, ni son estomac, et pas davantage ses pensées ou ses sentiments profonds…
Le psychothérapeute non plus n’est pas tenu de connaître toute la vérité. Il respecte l’autonomie du client, son libre choix de ne dévoiler que ce qu’il désire, lorsqu’il le désire, mais aussi de dissimuler délibérément… Au moins pour un temps.
Il n’est ni un juge, ni un détective.

La règle et l’exception
Parfois, il est bon de parler ; parfois il est préférable de se taire. Il n’y a pas de règle générale. La loi est faite pour servir l’homme, et non l’homme pour servir la loi.
Et puis, il n’y a pas de règle sans exception… à l’exception d’une seule – que voici : « Il n’y a pas de règle sans exception ! » Même une loi aussi générale que la gravitation universelle ne s’applique plus dans certaines conditions (vols spatiaux, etc.).
Que dire alors des règles, consignes ou suggestions étudiées pendant la formation du psychothérapeute ? En étant quelque peu provocateurs, nous pourrions aller jusqu’à dire qu’elles sont rarement valables ! En effet, les « cas types » n’existent pas dans la réalité : chaque cas est un cas particulier, concernant un client spécifique, à un moment donné de son itinéraire, dans un environnement original – dont le psychothérapeute à ce moment précis de son propre itinéraire !
« On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » (Héraclite).
Qui dit « toujours » se trompe toujours ! Ne dites jamais « jamais » !
E t pourtant les repères sont nécessaires, sur les chemins du territoire, comme dans les méandres de notre esprit et de notre cœur. Mais les détours, les imprévus, les exceptions sont les particularités qui pimentent l’itinéraire et nous permettent d’échapper à l’ennui et à la fadeur.
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OUTILS ET TECHNIQUES
Une large variété de techniques
Le psychothérapeute dispose pour son travail d’une large variété de techniques, constituant en quelque sorte une vaste « boîte à outils » dans laquelle il pourra puiser selon les nécessités : objets matériels (paper board, coussins, peluches, miroir, objets symboliques…), modes d’intervention (parole, silence, mouvement, psychodrame, monodrame, jeux et exercices corporels, massages, dessins, EMDR…), « grilles » de référence (pentagramme, roue des troubles, génogramme, triangle de Karpman…). Il pourra surtout en inventer sans cesse, selon les circonstances, et selon son inspiration créative.
L’expérience et l’art du praticien en psychothérapie – comme du menuisier ou du plombier- consistent à utiliser le meilleur « outil » au meilleur moment pour gagner en efficacité, dans la légèreté, et cela, en fonction de ses préférences personnelles et de son style spécifique.
Dans le cadre de cet ouvrage, nous ne passeront pas en revue de manière exhaustive les multiples modalités d’intervention ; nous nous contenterons de quelques remarques et suggestions, tirées de notre expérience personnelle, pendant plus de trente ans, de psychothérapies individuelles, en couple et en groupe et des témoignages de nos nombreux collègues, suivis en supervision.
Une chose nous paraît certaine : il serait fort dommage de se cantonner à un échange verbal et dans l’immobilité ! la mobilisation corporelle, même discrète, multiplie les possibilités et approfondit l’impact des interventions par une inscription cérébrale plus profonde.
Cependant, beaucoup de clients (et un certain nombre de psychothérapeutes !) sont réticents à tout mouvement corporel – et a fortiori à tout contact – compte tenu de la culture environnante.

La chaise vide
La technique de la chaise vide (empty chair) a été popularisée par Fritz Perl, le fondateur principal de la Gestalt-thérapie, lors de son séjour à Esalen (Californie) en fin de carrière. Elle est même devenue souvent – à tort- le symbole de l’approche Gestalt, tout comme le divan symbolise la psychanalyse. Le client qui « travaille » est sur la sellette, le hot seat (siège chaud) et s’adresse à un personnage de son choix qu’il imagine sur une chaise vide, en face de lui. Il peut ainsi s’adresser directement à son père (même décédé), à sa petite amie, ou à son patron, et leur exprimer avec force ses sentiments d’amour, d’admiration, de peur ou de colère, plutôt que d’en parler indirectement, de manière moins impliquée. Il peut ensuite être incité par le thérapeute à changer de place pour incarner la personne absente et répondre (monodrame).
Bien entendu, la chaise peut être remplacée par un coussin ou encore par un vêtement, une paire de chaussures ou tout autre objet (lunettes, collier, bague, livre, briquet, poubelle…).

Les objets symboliques et la « conjugaison à l’envers »
L’utilisation d’objets symboliques improvisés constitue souvent une transition discrète et progressive entre un travail exclusivement verbal et un action plus incarnée :
- Est-ce qu’on objet de cette pièce pourrait représenter votre mère, morte lorsque vous aviez 15 ans ?
- Ce vase par exemple… un peu fragile et à l’écart.
- Pourriez-vous vous adresser directement à ce vase et lui dire qu présent « Je te sens à l’écart, assez fragile, et je voudrais te dire que… »
- Un autre objet du cabinet ou posé sur la table pourrait-il vous représenter vous-même ? … Que dirait-il ?...
En fait, on reste, dans un premier temps, dans un échange verbal, mais il est davantage « habité » et souvent chargé d’émotions. On peut favoriser l’implication croissante par ce que j’ai baptisé « la conjugaison à l’envers » : il, tue, je. On parle de l’objet (symbolisant quelqu’un), à la 3è personne, puis on lui parle, enfin on le fait parler. Enfin, on peut progressivement « s’enhardir » et déplacer certains objets, amorçant ainsi une discrète mobilisation corporelle, laquelle favorise l’enregistrement du vécu dans les couches limbiques profondes du cerveau émotionnel (d’où il sera transféré vers les zones corticales de la mémoire à long terme, au cours des périodes de rêve suivantes). Chaque expérience vécue sera ainsi conservée et métabolisés, alors que les paroles seules « s’envolent » (verba volent). Les clients se montrent souvent intéressés par ce type de jeu, simple et quasi spontané, surtout si on évite d’annoncer à l’avance que l’on va procéder à un « exercice » !
On n’omettra pas la phase de « dérôlage » (empruntée au psychodrame), afin que le client termine dans son propre rôle. On reprend, en quelque sorte, la conjugaison à l’endroit (je, tu il – suivi du nous).
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Objets transitionnels
Lors d’une séparation prolongée entre le psychothérapeute et un client momentanément fragile ou vulnérable, notamment pendant une période de vacances, il est possible de proposer à ce dernier un « objet transitionnel », un « doudou » ou un « grigri », investi d’un pouvoir psychique « magique » de remplacement de l’être protecteur absent : ce pourra être un mouchoir qu’on serre discrètement dans sa poche, un foulard qu’on se noue autour du cou, mais aussi un bracelet, une bague, un stylo…
Le téléphone portable pourra aussi maintenir un lien sécurisant pour une personne désemparée, mais sous réserve de limiter les brefs appels à des moments fixés d’avance – comme nous l’avons déjà souligné – pour éviter à la fois l’envahissement aliénant du psychothérapeute et une dépendance excessive du patient.
On pourra aussi poursuivre quelques temps des échanges thérapeutiques par e-mail (avec même, éventuellement, l’appui de la webcam), mais nous ne sommes pas favorables, pour autant, à des thérapies entières à distance, car il y manque des éléments essentiels, tels que les silences, le cadre, la présence, les attitudes, le regard, voire le contact physique (sans parler des phéromones !).

Le dessin
Une autre manière de dépasser l’expression verbale (cerveau gauche) consiste à proposer de dessiner la situation (cerveau droit), mais la réponse fréquente est : « je ne sais pas dessiner ! ». Il faut donc préciser alors que cela n’a aucune importance et qu’on restera au niveau symbolique et non dans une représentation réaliste. Plutôt qu’un petit croquis sur la table ou sur les genoux, un dessin debout face à un paper board ou un tableau blanc mural, mobilise des mouvements plus amples de la main, du bras et du corps, et donc des zones cérébrales beaucoup plus importantes, accompagnées d’une modification de l’équilibre biochimique de l’organisme (neurotransmetteurs et hormones), permettant une engrammation durable de l’expérience émotionnelle.
Ainsi, on obtient des effets thérapeutiques sensibles sans avoir recours à des mouvements importants ou spectaculaires, tels que les catharsis bruyantes induites par certaines exercices d’analyse bioénergétique (W. Reich, A. Lowen ou J. Pierrakos) ou de thérapie primale (A. Janov).
Plutôt que de dessiner des scènes ou des personnages, on peut aussi dessiner des œuvres plus abstraites, tel qu’un mandala, peinture généralement symétrique symbolisant un thème existentiel important ou un squiggle (winnicott, 1951), gribouillage ou dessin improvisé, exécuté à deux, en alternance entre le client et son thérapeute.
On peut encore suggérer au client de réaliser son génogramme ou génosociogramme transgénérationnel (A. Ancelin-Schützenberg) : arbre généalogique schématique représentant la structure familiale – telle qu’elle est perçue ou imaginée par le client. On pourra ensuite le commenter verbalement, s’adresser directement à certains personnages du dessin, ou les faire jouer ou incarner par des participants, selon des techniques inspirées du psychodrame (J. Moreno) ou des constellations familiales (B. Hellinger).
On peut aussi proposer des modelages. Dans certains cas, il est possible que le psychothérapeute conserve ces œuvres « à l’abri » dans son cabinet – s’il dispose d’une place suffisante – et les ressorte au moment opportun.

Le miroir
Une autre forme de travail corporel calme peut se dérouler devant un miroir mural où le client se voit en pied ; il peut commenter sa perception de son corps, sous différents angles. Il peut aussi « dialoguer » avec son cops : lui parler et se répondre, ou le dessiner – globalement ou en partie – puis « corriger » son dessin par un corps souhaité…
Ce type de travail s’avère souvent intéressant dans les cas de dysmorphophobies (crainte obsédante d’être laid ou mal formé), de troubles du comportement alimentaire (boulimie, hyperphagie (boulimie sans contrôle du poids), anorexie) ou de difficultés sexuelles.
Une variante en est le photodrame (S. Tomkiewicz, G. Guasch) où des photos du client, prises à sa demande sur suggestion du psychothérapeute, sont conservées d’une séance à l’autre, et éventuellement affichées dans une salle de thérapie individuelle ou de groupe, permettent de mieux objectiver les changements et d’exploiter les échos d’éventuels spectateurs. On peut aussi apporter en séance une sélection de photos personnelles de son enfance ou de moments forts de son existence.
(…)

Le Travail du rêve
Freud, Jung… et les autres
Pour Freud, le rêve était « la voie royale » vers l’inconscient. Perls, le père de la Gestalt-thérapie, ne désavoue pas son maître – au moins sur ce point – et il déclare même que l’analyse détaillée d’un seul rêve pourrait nourrir toute une thérapie.
Freud considérait que « les rêves ont un pouvoir de guérison, de soulagement » et son disciple Ferenczi leur attribuait un rôle « traumatolytique » (ils étaient chargés de dissoudre et « digérer » les traumatismes). Cela serait particulièrement vrai pour les rêves récurrents – qui viseraient à effacer progressivement le halo affectif entourant un souvenir stressant.
Pour Freud, le rêve n’est pas un message transcendant d’en-haut, mais un message immanent d’en bas, en provenance du « continent noir » des pulsions inconscientes.
Jung va lui redonner une valeur plus élevée en lui attribuant non seulement des causes psychologiques ou biographiques, mais une perception inconsciente du fonds culturel commun de l’humanité. Pour lui, les rêves s’étendent sans discontinuité vers le passé, mais aussi vers l’avenir : le rêve ne cache pas quelque désir refoulé, mais au contraire révèle des données de l’inconscient collectif et peut même revêtir une signification ésotérique.

Les recherches récentes
L’approche psychanalytique a dominé entre les années 1900 et 1960 ; mais il n’en est plus de même aujourd’hui – notamment à la suite des travaux du Français Michel Jouvet (1961).
On sait aujourd’hui que seuls les animaux supérieurs rêvent. Les animaux à sang froid (poissons, reptiles) ne rêvent jamais mais leur système nerveux se régénère tout au long de leur vie (neurogenèse permanente), renouvelant ses neurones tout comme les autres cellules plus « vulgaires » de leur organisme. Ainsi, ils en sont réduits aux instincts innés, mais ne peuvent acquérir et conserver des apprentissages. En effet, c’est pendant le rêve que s’enregistrent les souvenirs.
Pendant le rêve, l’animal est particulièrement vulnérable : il est provisoirement aveugle, presque sourd et paralysé. Quoi d’étonnant alors que le rêve implique tout d’abord un sentiment de sécurité. Ainsi les vaches rêvent-elles jusqu’à trois fois plus à l’étable que dans les prés ! Et les grands carnassiers, sûrs d’eux-mêmes, se permettent de rêver durant 40% de leur temps de sommeil, tandis que les pauvres animaux pourchassés n’osent y consacrer que 5% de leur temps.
A mi-chemin entre les prédateurs et les victimes, l’homme rêve, en moyenne, pendant 20% de son temps de sommeil, soit environ cent minutes chaque nuit – cela qu’il s’en souvienne ou pas. On sait que tout le monde rêve, mais les recherches ont montré qu’en moyenne, huit minutes après le réveil, 95% du contenu des rêves a déjà été oublié !
Le fœtus commence à rêver in utero, dès le septième mois de la grossesse (donc, bien avant d’avoir des souvenirs conscients « censurés » à refouler – selon l’hypothèse périmée de Freud) et le nouveau-né continue de construire ainsi son cerveau pendant 60% de son temps. La femme enceinte double d’ailleurs son temps de rêve pour accompagner la neurogenèse de son enfant. Ainsi, il n’est pas exclu qu’une partie de ces rêves permette la transmission inconsciente de certaines expériences de sa vie, contribuant à la fameuse hérédité des caractères acquis.
On a baptisé le rêve « le cordon ombilical de l’espèce » : il transmet les comportements fondamentaux nécessaires à la survie. Mais, il est enrichit et les met à jour par l’enregistrement des acquis de l’expérience, permettant ainsi « l’individuation » et la construction de la personnalité – somme de l’inné et de l’acquis.
Perls résume ainsi l’approche du rêve en gestalt : les différents éléments du rêve sont des fragments de la personnalité du rêveur qu’il lui convient de se réapproprier, en donnant successivement la parole à chacun des éléments. Plutôt que de l’analyser, il suggère de redonner vis au rêve, en le rejouant au présent. Son disciple Isadore From s’intéresse, lui, au rêve comme « rétroflexion » d’un message destiné inconsciemment au psychothérapeute à qui le patient envisage de raconter son rêve.

Concrètement : dix approches du rêve
En ce qui nous concerne, nous travaillons à partir d’au moins dix aspects thérapeutiques du rêve – qui peuvent se combiner harmonieusement et que voici :
1. Le rêve en lui-même, avant toute exploitation délibérée, possède – comme on l’a vu – plusieurs fonctions « thérapeutiques » naturelles, fonctions biologiques d’adaptation et d’autorégulation qui n’impliquent d’ailleurs pas nécessairement sa remémoration consciente : révision et mise à jour de notre patrimoine génétique, mémorisation, individuation du comportement (Jouvet), dissolution progressive des traumatismes (Ferenczi).
2. Le simple récit verbal du rêve au réveil s’avère utile en ce qu’il permet une meilleure accession à la conscience, des associations spontanées et une dédramatisation éventuelle.
3. L’interprétation du rêve par associations concernant son contenu ou sa forme, son décodage symbolique (Freud) permet une riche plongée dans l’inconscient individuel.
4. La référence à un symbolisme universel, à l’inconscient collectif, au message caché à valeur prospective (Jung), apporte une dimension transpersonnelle et spirituelle de « révélation » éventuelle.
5. Le rêve peut être rejoué, sous forme de psychodrame (Moreno), afin de mettre en relief certains de ses aspects et de l’enrichir des réactions éventuelles des divers protagonistes.
6. Le groupe peut être utilisé comme « caisse de résonance » ou écho amplificateur, le thérapeute confiant certaines phrases clés du rêveur à divers volontaire du groupe – qui vont les restituer tout haut par la suite, en fin de travail (Anne Ginger).
7. Le rêve comme projection du dormeur (Perls) incite à la réunification des diverses facettes de l’individu par réappropriation successive d’éléments, a priori disparates.
8. Le rêve comme rétroflexion d’un message au psychothérapeute (Isadore From) permet d’enrichir l’échange thérapeute/client qui demeure au cœur de toute psychothérapie.
9. Le rêve peut être traité comme une Gestalt inachevée (Serge Ginger) : en effet, la nature a prévu qu’il survienne au cœur du sommeil et par conséquent, hors de la conscience – tout comme la digestion. Si cette dernière devient consciente (lourdeurs d’estomac, etc.), c’est que quelque chose ne se passe pas bien. De même, si le rêve affleure spontanément à la conscience lors du réveil, c’est qu’il n’est pas entièrement « digéré ». dans ce cas, on va l’aider à achever son travail interrompu. On pourra ainsi proposer au client de le raconter au présent, puis de le terminer à sa guise, en en prenant la responsabilité (son rêve lui appartient !) et en l’agissant (monodrame ou psychodrame), afin de liquider la tension psychique inconsciente d’une situation inachevée et de construire lui-même son avenir.
10. Enfin, on peut utiliser le rêve comme simple prétexte (et non comme texte à décrypter). Il sert alors, en quelque sorte, d’entame et le thérapeute se centre ensuite essentiellement sur la forme, c’est-à-dire sur le comment et non sur le quoi (le contenu) : il est attentif au ton de la voix, à la posture, aux gestes, etc. ; il travaille dans l’ici et maintenant de la relation avec le psychothérapeute, allant même jusqu’à négliger éventuellement le rêve lui-même.

Guide pratique du psychothérapeute humaniste, Anne et Serge Ginger, éditions Dunod

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