La Psychothérapie, une profession indépendante : un défi européen !

Soumis par Anonyme (non vérifié) le ven 30/04/2010 - 00:00
dart

 

Par Serge Ginger.

Colloque Vienne, févr. 2010. Formation des psychothérapeutes. S. Ginger, Registrar.

Un professionnel humaniste de la psychothérapie pose sa réflexion.

Merci à lui de l'avoir fait.

 

Autonomie de la psychothérapie. Déclaration de Strasbourg

Un jour advient généralement où les enfants quittent leurs parents pour accéder à
leur autonomie. Ils s’installent alors habituellement dans un lieu différent.

C’est aussi ce qui se passe au niveau de certains groupements sociaux.

Ainsi — dans la plupart des pays — la psychologie s’est progressivement détachée de
sa « mère », la philosophie. En France, par exemple, cela s’est produit aux environs des
années 1950. En même temps, son enseignement quittait la Faculté des Lettres pour créer un département spécial, celui des « Sciences humaines ». Aujourd’hui, on compte 45 000 ouvrages de psychologie, publiés dans le monde… (Dont : 45 % en psychopathologie ou psychologie de la santé ; 10 % en neurosciences ; 2 % en psychanalyse) et nul ne considère plus la psychologie comme une simple branche de la philosophie.

De même, dans notre pays, après la révolution idéologique des années 1968, la
psychiatrie s’est séparée de la neurologie, et a laissé une place à des troubles mentaux
d’origine non organique.

Et voici qu’en 1990, la psychothérapie a pris à son tour, son envol, et s’est distinguée
à la fois de la psychologie et de la psychiatrie. Ce fut la « Déclaration de Strasbourg » — qui a donné naissance à l’European Association for Psychotherapy (EAP). Ce manifeste, signé e 21 octobre 1990 par les représentants de 14 pays — et contresigné depuis par ceux des 40 pays membres de l’EAP — demeure la pierre angulaire de l’EAP. Il précise ceci :

  1. La psychothérapie est une discipline spécifique, du domaine des sciences humaines, dont l'exercice représente une profession libre et autonome.
  2. La formation psychothérapeutique exige un niveau élevé de qualification théorique et clinique.
  3. La diversité des méthodes psychothérapeutiques est garantie.
  4. La formation dans une des méthodes psychothérapeutiques doit s'accomplir intégralement et comprend : la théorie, l'expérience sur sa propre personne et la pratique sous supervision.
    Sont également acquises de vastes notions sur d'autres méthodes.
  5. L'accès à la profession est soumis à diverses préparations préliminaires, notamment en sciences humaines et sociales.

Le Certificat Européen de Psychothérapie (CEP)

Concrètement, cette Déclaration fondamentale a abouti à la mise en place du Certificat Européen de Psychothérapie (CEP) et d’un Registre européen des psychothérapeutes
certifiés. Son programme a été largement inspiré par la loi autrichienne réglementant
la psychothérapie.

Le CEP a été institué il y a 13 ans, lors du Congrès de Rome, en 1997. Il précise les
conditions de formation : 3 200 heures en 7 ans minimum, incluant une formation
propédeutique de 3 années en sciences humaines, suivie d’une formation approfondie de 4 années minimum dans une méthode scientifiquement validée, incluant une pratique supervisée de 2 ans au moins.

Les critères d’attribution du CEP ont été négociés au cours de nombreuses réunions
internationales d’experts (à Vienne, Londres, Rome, Paris, Amsterdam, Francfort, Moscou) par les délégués élus d’une trentaine de pays d’Europe, et sont contresignés aujourd’hui par es représentants de 40 pays.

 

• Dans un premier temps, est appliquée "la clause du grand père", concernant les
anciens psychothérapeutes, en exercice déclaré depuis au moins 3 ans, et reconnus par une commission nationale de pairs de leur pays. Par ailleurs, peuvent postuler directement les titulaires d’un certificat d’une école qui a été agréée comme EAPTI (European Accredited Psychotherapy Training Institute) après une étude de dossier approfondie, effectuée par le TAC (Training Accreditation Committee), suivi d’une inspection détaillée sur place par deux experts internationaux indépendants, et un vote par le Board de l’European Association for Psychotherapy (EAP).

A ce jour, ont été accrédités comme EAPTI, 50 instituts de formation à la psychothérapie, enseignant 14 méthodes différentes, dans 20 pays d’Europe. Chaque candidature au CEP est examinée par 3 instances successives — nationales
et européennes :

  1. La NAO (National Awarding Organisation), Fédération nationale des psychothérapeutes, regroupant les professionnels qualifiés pratiquant diverses méthodes ;
  2. L’EWAO (European Wide Accrediting Organisation) concernée, association européenneofficielle représentant la méthode pratiquée. Ces méthodes doivent avoir été agréées comme reposant sur des bases scientifiques, avoir fait l’objet de publications dans plusieurs revues professionnelles, et être enseignées dans six pays d’Europe, au moins.
  3. La Commission d'enregistrement de l'EAP — que le préside depuis 2001— et qui contrôle l’ensemble de la procédure.

Il a été délivré, à ce jour, environ 6 000 CEP dans 51 pays d’Europe et du monde entier (Mexique, Liban, USA, Kazakhstan, Japon, etc.). Les deux tiers des CEP ont été accordés à des professionnels de la douzaine de pays suivants (en chiffres arrondis et dans l’ordre) :

Allemagne 1 300

Autriche 600

France 500

Irlande 400

Pays-Bas 300

Russie 200

Pologne 200

Grande-Bretagne 150

Italie 140

Grèce 100

Suisse 100

Le Parlement européen est en train d’étudier les grandes lignes du programme du
CEP dans une « plateforme commune » en cours d’élaboration par la Commission
européenne de Bruxelles, pour favoriser la mobilité professionnelle et la reconnaissance
internationale de la profession de psychothérapeute.

Le WCP (World Council for Psychotherapy) a mis en place, sur le même modèle, un
Certificat mondial de Psychothérapie.

Ainsi, le niveau des psychothérapeutes professionnels est élevé et devient comparable
d’un pays à l’autre : il correspond au minimum à un master. Les échanges de professionnels deviennent possibles.

Chaque titulaire du CEP doit avoir suivi un travail personnel (psychothérapie
individuelle ou en groupe, ou équivalent) de 250 heures au moins, et s’engage, par ailleurs, à respecter scrupuleusement le Code de Déontologie de l’Association.

La législation européenne

Cependant, la législation réglementant la psychothérapie varie beaucoup selon les
pays de l’Union Européenne. A ce jour, une dizaine de pays sur 27 ont mis en place une loi spécifique. Plusieurs d’entre eux (Allemagne, Italie, Suède, Pays-Bas) limitent l’accès à la profession aux psychologues et aux médecins, tandis que d’autres (Autriche, Finlande, etc.) ouvrent la formation à des candidats d’horizons divers, et même à des jeunes qui viennent de terminer leurs études secondaires. Ainsi, au lieu d’être seulement un « second métier », la psychothérapie tend peu à peu à devenir une profession à part entière, comme celle de médecin, psychologue ou avocat.

Une réglementation européenne exigeant ce haut niveau de formation spécifique
(différente de la formation de psychologue clinicien ou de psychiatre) devient une nécessité urgente au moment où la demande de psychothérapie ne cesse de croître d’année en année.

La psychothérapie s’est développée rapidement dans une centaine de pays de tous
les continents. Elle s’est diversifiée en un grand nombre de courants — dont chacun
bénéficie d’instituts de formation spécifiques et de revues scientifiques spécialisées2.

Ces courants sont plus ou moins développés selon les pays : ainsi, par exemple,
diverses approches psychanalytiques (Freud, Lacan, Jung, Adler, Klein, analyse de groupe, etc.) sont présentes dans presque tous les pays d’Europe (et notamment dans les pays latins (France, Italie), tandis que les TCC sont plus répandues dans les pays anglo-saxons (Grande- Bretagne, Allemagne, etc.) ; les approches humanistes sont courantes dans l’ensemble de l’Europe de l’Ouest et de l’Est (France, Suisse, Russie, Pologne, etc.). Certaines approches sont spécifiques à quelques pays et ignorées dans d’autres : ainsi, par exemple, la psychothérapie d’imagination catathymique (PIC) est pratiquée en Allemagne et en Suisse alémanique, mais ne l’est guère en France ; tandis que la thérapie de la motivation est enseignée surtout en France, ou encore, la méthode Vittoz, en France et en Suisse romande.

(2 À titre d’exemple, la Gestalt-thérapie est enseignée aujourd’hui dans près de 200 écoles ou instituts d’une cinquantaine de pays. Il existe plus de 25 revues spécialisées et 6 000 publications de Gestalt dans diverses langues.)

La psychothérapie se situe clairement aujourd’hui au carrefour entre plusieurs
disciplines : médicales, psychologiques et sociales. Il serait donc irréaliste d’en réserver la formation et la pratique à telle ou telle profession initiale : médecin, psychologue, travailleur social, sociologue, philosophe, prêtre ou pasteur, etc.

Pour illustrer cette évidence, je prendrai rapidement trois exemples schématiques :

• 1er exemple : il est clair qu’une dépression endogène profonde, s’accompagne d’un
dysfonctionnement neurologique et d’un déséquilibre des neurotransmetteurs (sérotonine, dopamine, etc.). Un traitement médical s’avère donc souvent nécessaire, parallèlement à une approche psychothérapeutique ;

• 2e exemple : une impuissance sexuelle avec la partenaire habituelle, tandis que
l’activité érectile reste normale avec une jeune maîtresse, montre bien que le problème n’est pas organique, mais psychologique ;

• 3e exemple : une phobie sociale, entretenue par des agressions racistes à répétition,
dans un quartier défavorisé, relève de toute évidence, d’un problème sociologique et pas seulement médical ou psychologique. Il en est de même des problèmes psychosociaux induits par le chômage.

Toute approche réductionniste de la psychothérapie est donc condamnée à une
certaine inefficacité. Un abord bio-psycho-social est indispensable.

La prévalence des dif icultés psychiques. Quelques chiffres

Selon diverses études internationales, le pourcentage des personnes souffrant, à un
moment ou un autre de leur vie, de troubles psychologiques nécessitant une aide extérieure, oscille entre 7 % et 15 % de la population générale, représentant ainsi, pour les 500 illions d’habitants de l’Union Européenne (UE), de 35 à 75 millions de personnes en difficulté psychosociale !

Il s’agit donc bien d’un problème sociétal d’importance… au moment où la dépression
a été baptisée « la maladie du siècle ».

Mais toutes ces personnes en difficulté sont loin d’avoir recours à la psychothérapie
— pour des raisons culturelles ou économiques : dans certains pays, un tel recours sembleréservé aux cas graves de maladie mentale ; dans d’autres pays, les limitations sont dues au prix élevé des traitements, ainsi qu’au manque cruel de spécialistes.

Un exemple, pour illustrer : nous avons mené récemment deux enquêtes nationales
de grande envergure en France avec des organismes indépendants3, qui ont montré que 8 % de la population adulte avait suivi — ou suivait encore — une psychothérapie (ou une sychanalyse).

Les motivations principales en étaient : la dépression, l’angoisse, un traumatisme
psychologique, des conflits familiaux ou sociaux.

En chiffres arrondis :

- 40 % avaient suivi une psychothérapie de type humaniste : Gestalt, Analyse
Transactionnelle, Approche Centrée sur la Personne, Analyse Psycho-Organique,
Psychosynthèse, etc.) ;

- 30 % une thérapie d’inspiration psychanalytique ;

- 20 % une Thérapie Cognitivo-Comportementale (TCC) ;

- 10 % une thérapie familiale.

 

 

Ces psychothérapies avaient duré — en moyenne — une année, à saison d’une séance
de 50 minutes par semaine ; 87 % des usagers se déclaraient satisfaits ou très satisfaits, et 4 % seulement, insatisfaits (9 % de non réponses).

Les besoins en psychothérapie augmentent régulièrement

En fait, aussi bien la demande que l’offre de psychothérapie s’avèrent en croissance
continue dans tous les pays développés.

Pourquoi a-t-on besoin de tant d’interventions — préventives ou curatives — pour
pallier le désarroi et la souffrance de nos concitoyens ? De nombreuses hypothèses ont été avancées : il n’apparaît pas, en tous cas, que les causes en soient uniquement individuelles (donc « médicales »), mais bien plutôt sociologiques et culturelles.

(3 Enquêtes initiées par S. Ginger, en 2001 et 2006, au nom de la FF2P, avec l’aide du magazine « Psychologies » et des instituts nationaux de sondage : BVA et CSA.)

Aux besoins traditionnels d'aide psychologique à des personnes malades, éprouvées
ou solitaires, se sont ajoutés récemment les nombreux problèmes liés à la crise majeure de la société "postindustrielle" :

- voici les idéogrammes représentant la version Chinoise du mot “crise” 危机

- qui a deux parties (wei-ji) : “danger” et “opportunité”

- avec une connotation positive

• crise économique et mutation technologique, avec son contexte de
mondialisation, de migrations de populations, de chômage et d'exclusion, de pauvreté et de solitude… mais aussi, le besoin d'accompagnement des managers, stressés par la concurrence et l'évolution accélérée des techniques (d'où le développement du counselling, du coaching, des techniques de gestion du stress,…) ;

• crise sociologique et évolution rapide des moeurs, avec son contexte de voyages,
de chocs transculturels, de racisme, de crise identitaire (politique, sociale, sexuelle), avec ses cités et ses banlieues populaires, avec ses conflits de générations ;

• crise informationnelle, avec l'irruption permanente des médias dans notre vie
intime : internet, télévision et son lot quotidien de catastrophes écologiques, de pollution, de scandales politiques et financiers, d'affaires de moeurs — ébranlant de jour en jour la sérénité de chacun — emporté dans un « zapping » insensé, qui alterne entre : meurtres, explosions, viols et tortures4… et parallèlement : sérénades ou accolades, starlettes affriolantes et rêves ensoleillés5.

• crise politique, avec la lente et délicate construction de l'Europe, les conflits
idéologiques, les personnes déplacées ou réfugiées, les conflits linguistiques, l'insécurité, la violence, les attentats, les génocides…

Ainsi, la société devient de plus en plus complexe et « dépersonnalisée ». Avec la
mondialisation, on ne sait plus qui décide quoi ; on n’a plus ni guide… ni ennemi identifié ; on se sent perdu et impuissant.

(4 Bilan d’une semaine ordinaire sur l’ensemble des six chaînes de télévision classiques françaises : 670 meurtres, 420
fusillades, 15 viols, 27 scènes de tortures, 850 bagarres, 9 défenestrations, 13 tentatives de strangulation, 18 scènes de
drogue…
5 L’alternance rapide de ce type de comportements — extrêmes et incoordonnés — est caractéristique d’une personnalité
borderline.)

Ce contexte socioculturel peut expliquer — en partie — le rôle croissant de la
psychothérapie dans la société contemporaine.

En effet, l'angoisse est le corollaire du progrès, selon la loi universelle de
l'hypertélie6. La technologie produit des scories : non seulement des déchets visibles, souvent toxiques, mais aussi des dommages collatéraux, psychologiques et sociaux7. Le progrès médical et le développement des soins physiques ne peuvent suffire à assurer l'équilibre de l'homme : une approche globale s'impose aujourd'hui, intégrant les problèmes psychologiques personnels — anciens et actuels — l'adaptation sociale à un environnement changeant et souvent stressant, et le questionnement spirituel sur le sens même de l'existence. En d’autres termes, il convient de considérer les interrelations entre les cinq « dimensions » principales de l’être humain : physique, affective, cognitive, sociale et spirituelle8.

(6 Hypertélie : de hyper, trop, et télos, le but = le dépassement du but recherché. Un exemple classique en est le développement
excessif des défenses des mammouths, recourbées vers l’intérieur, et qui ont fini par leur perforer la mâchoire.
7 Ainsi par exemple, la multiplication des répondeurs téléphoniques a pour effet pervers la non réponse aux appels, par
"filtrage" des appels. La communication « magique » par internet induit une avalanche d’informations parasites (SPAMS).
8 Cf. Le Pentagramme de Ginger, in La Gestalt, l’art du contact, Marabout, Paris, 10e édit. 2009. Publié en 15 langues.)

Trois professions d’aide psychosociale

Face ces problèmes, se sont développées en parallèle trois professions principales
d’aide et d’intervention psychosociales — que le public confond souvent : les psychologues, les psychiatres et les psychothérapeutes (sans parler des conseillers divers : religieux, sociaux ou techniques — tels que les coaches).

1°. Les psychologues disposent d’un diplôme universitaire officiel (après 5 à 7 années
d’études et de stages). Ils ont donc un bon niveau de compétence sur le plan théorique. Ils réalisent des examens, des expertises, coordonnent souvent des réunions de travail dans les institutions. Il existe plusieurs spécialités : psychologues du travail, psychologues scolaires, experts auprès des tribunaux, psychologues « cliniciens ». Cependant, même ces derniers — qui ont suivi une formation en psychopathologie — ne sont pas formés pour autant à la psychothérapie, au sein de l’université ! Il s’agit là d’une formation complémentaire et seulement optionnelle. La Fédération européenne des psychologues professionnels (EFPPA) exige d’ailleurs des psychologues déjà diplômés, 3 ans de formation spécifique complémentaire, après 2 ans minimum de pratique supervisée, et après une psychothérapie personnelle.

2°. Les psychiatres sont des médecins spécialistes des maladies mentales et des
troubles psychiques. Ils ont fait de longues études (10 ans environ) et des stages dans des hôpitaux psychiatriques. En tant que médecins, ils sont habilités à prescrire éventuellement des médicaments psychotropes : tranquillisants, antidépresseurs, antipsychotiques… De tels médicaments sont indispensables dans les cas graves (dépression avec risques de suicide, hallucinations, délires, etc.). Dans les cas plus légers, ils peuvent être associés à une psychothérapie et la rendre plus efficace.

Outre les médicaments, le psychiatre mène éventuellement quelques entretiens, plus
ou moins prolongés et plus ou moins réguliers. Cependant, il faut savoir que tout psychiatre n’est pas forcément psychothérapeute : il s’agit, là aussi, d’une spécialisation
complémentaire, généralement non enseignée à l’université publique, mais acquise après coup par certains psychiatres dans des instituts privés. La loi italienne, par exemple, exige 4 années d’études supplémentaires à temps partiel — soit 2 000 h — pour un psychiatre (ou pour un psychologue), avant qu’il puisse prétendre au titre de « psychothérapeute ».

3°. Les psychothérapeutes proprement dits ont tout d’abord suivi eux-mêmes une
psychanalyse ou une psychothérapie, puis se sont formés, dans des écoles et instituts
spécialisés, à une des méthodes spécifiques de psychothérapie, actuellement reconnues. Le Certificat Européen de Psychothérapie (ou CEP) représente 3 200 h de formation, en 7 années. Les étudiants psychothérapeutes sont recrutés le plus souvent après une sélection — qui porte non seulement sur le niveau d’études à l’entrée (en principe, bac + 3), mais surtout sur l‘équilibre et la maturité de la personnalité. La formation est à la fois théorique, méthodologique et pratique : théorique (cours de psychologie, psychopathologie, anthropologie, philosophie, législation, éthique, etc.) ; méthodologique (principes et techniques d’intervention, propres à chaque méthode) et pratique (entraînement concret à mener des séances individuelles ou de groupe, et supervision).

Les psychothérapeutes ne sont pas obligatoirement médecins ou psychologues.
Dans de nombreux pays, plus de la moitié viennent d’autres professions : travailleurs
sociaux, éducateurs spécialisés, infirmiers, kinésithérapeutes, enseignants, sociologues,
philosophes, prêtres ou pasteurs, etc. En revanche, ils ont tous suivi une psychothérapie
personnelle, une longue formation spécifique à la psychothérapie, et se sont engagés à une supervision continue de leur travail tout au long de leur carrière (Continuous Professional Development ou CPD)9, ainsi qu’à observer un Code de déontologie.

(9 L’EAP demande une moyenne de 250 h de Formation continue tous les cinq ans : cours, supervision, congrès ou colloques, publications, engagement dans des organismes professionnels…)

Parmi les psychothérapeutes, certains classent à part les psychanalystes — pour des
raisons surtout historiques ou de prestige. Pour nous, ce sont des psychothérapeutes comme les autres, qui pratiquent une méthode parmi d’autres.

De nombreuses méthodes, regroupées en 4 à 6 principaux courants
Certains critiquent l’abondance des méthodes de psychothérapies. Il en existerait au
moins… 365 — ce qui permettrait d’en changer chaque jour d’une année ! Mais après tout, cela représente une richesse et une liberté de choix. Faut-il se plaindre de la grande variété de médicaments, de fruits, de fromages ou de vins ? En réalité, on dénombre à peine une vingtaine de psychothérapies, communément utilisées en Europe, et représentées par une association professionnelle reconnue (EWAO). Les autres ne constituent généralement que des variantes. De plus, ces vingt méthodes peuvent être regroupées en 4 à 6 courants principaux — que voici :

1. Approches psychanalytiques ou psychodynamiques (10 to 30 %)

2. Thérapies cognitivo-comportementales (TCC) (10 to 30 %)

3. Thérapies familiales systémiques (10 to 15 %)

4. Approches humanistes ou existentielles (20 to 40 %)

5. Approches transpersonnelles ( 5 to 10 %)

6. Approches intégratives (10 to 20 %)

1 • Les thérapies d’inspiration psychanalytique (selon Freud, Lacan, Jung, Adler,
Mélanie Klein, etc). L’analyse repose sur l’association libre, l’importance de l’inconscient et notamment des pulsions sexuelles, le déterminisme des expériences de la petite enfance et le transfert. Les analyses sont longues de plusieurs années (3 à 15 ans), à raison de plusieurs séances par semaine, et visent un remaniement éventuel de l’ensemble de la personnalité. L’analyse est plus ou moins répandue, représentant de 10 à 30 % des psychothérapies, selon les pays.

2 • Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) visent à déconditionner les
patients de certains blocages, phobies ou idées dépressives, à dépasser des obsessions ou des troubles post-traumatiques. Ces thérapies sont généralement assez courtes (10 à 20 séances, en quelques mois) et centrées surtout sur la guérison de symptômes. L’EMDR peut être rattachée à ce courant, bien qu’elle soit souvent combinée à d’autres approches. LesTCC représentent actuellement, selon les pays, de 10 à 30 % des psychothérapies.

3 • Les thérapies familiales systémiques : ce n’est plus un « patient désigné » qui
analyse ses problèmes, mais toute la famille en même temps. Les thérapeutes aident à clarifier les relations actuelles et le système de communication au sein de la famille,
considérée dans son ensemble. Une variante en est la thérapie de couple. Ces thérapies sont généralement assez courtes (quelques mois, à raison d'une séance par mois, en général — souvent co-animée par deux thérapeutes). On estime leur importance à 10 ou 15 % environ.

4 • Les thérapies humanistes ou existentielles — comme la Gestalt-thérapie (GT),
l’analyse transactionnelle (AT), l’hypnose ericksonienne, et différentes approches « centrées sur le patient ou le client » (ACP) — ainsi que les thérapies psychocorporelles. Les thérapies humanistes ne se limitent pas à un échange verbal, mais tiennent compte du corps, des émotions, de l’environnement, et analysent le comportement, les relations et le ressenti du client, ainsi que sa relation au thérapeute. Ces thérapies humanistes visent un ajustement créatif de l’ensemble de la personnalité à ses conditions de vie actuelles — intégrant, bien entendu, son histoire personnelle et ses projets. Elles sont habituellement de durée moyenne (de 1 à 3 ou 4 ans, à raison d'une séance par semaine) et se pratiquent soit en séances individuelles, soit en petit groupe. Elles représentent au total, aujourd’hui, environ 40 % des psychothérapies.

5 • Les approches éclectiques ou intégratives combinent des techniques issues des
différents courants ci-dessus, ou tentent une synthèse de leurs théories.

6 • On distingue enfin parfois les approches transpersonnelles (respiration holotropique, approches orientales, ennéagramme, art-thérapies, etc.) qui soulignent la
dimension spirituelle et énergétique ; on peut y rattacher éventuellement les approches
trangénérationnelles (au total : 5 à 10 %, selon les pays).

Dans plusieurs pays, les deux derniers courants sont intégrés aux psychothérapies
humanistes.

La législation et les besoins en professionnels qualifiés

La réglementation de la psychothérapie varie beaucoup d’un pays à l’autre. Dans
certains pays, elle concerne uniquement la formation et l’accès au titre de « psychothérapeute » ; dans d’autres, elle concerne aussi l’exercice professionnel et sa définition.

Une loi existe actuellement dans 8 pays d’Europe [et plusieurs sont en cours de
discussion]. Dans quelques pays — comme la Finlande ou l’Autriche — cette profession
implique une formation spécifique ouverte à plusieurs métiers d’origine. Dans d’autres
pays — comme l’Allemagne ou l’Italie — la formation n’est accessible qu’aux médecins et aux psychologues, et vient s’ajouter à leur formation universitaire de base. Dans aucun pays du monde, elle n’est réservée aux seuls médecins ; et partout, elle est enseignée dans des écoles ou instituts privés — du fait notamment que la thérapie personnelle et la sélection en fonction de l’équilibre et de la maturité de la personnalité, sont difficiles à mettre en place dans les université publiques.

On estime qu’environ 150 000 psychothérapeutes professionnels qualifiés
exercent aujourd’hui en Europe… mais ils sont encore en nombre insuffisant dans presque tous les pays.

Densité professionnelle moyenne en Europe (pour 100 000 habitants)

Médecins 200

(dont psychiatres) 15

Infirmiers 800

Pharmaciens 100

Kinésithérapeutes 100

Avocats 80

Dentistes 70

Psychologues 70

Psychothérapeutes 30

En réalité, la densité professionnelle des psychothérapeutes varie énormément d’un
pays à l’autre : de 65 à 85 (pour 100 000 hts) en Autriche, Italie, Suisse ou Belgique, à 10 — voire 5 ou moins — dans plusieurs pays de l’Europe de l’Est10.

(10 Cf. notamment : R. Zerbetto & D. Tantam : Survey of European Psychotherapy Training, in EJPC, vol. 4, N° 3, 2001.)

 

Conclusions et prospective

Si l’on considère que 10 % environ de la population a besoin d’une psychothérapie,
et qu’un psychothérapeute peut accompagner une centaine de clients par an, en moyenne (en thérapie, brève ou normale, individuelle ou de groupe), cela impliquerait une densité optimale de 100 psychothérapeutes qualifiés pour 100 000 habitants (soit 1 pour mille habitants) — soit, pour l’ensemble de l’Union Européenne (500 millions d’habitants) : environ 500 000 psychothérapeutes qualifiés… c’est-à-dire environ trois fois l’effectif estimé actuel.

Si l’on tient compte du fait qu’un psychothérapeute exerce effectivement sa profession
pendant 30 à 35 ans environ, cela implique la formation chaque année de 3 nouveaux professionnels pour 100 000 habitants (certifiés après 4 années d’études, au minimum) — représentant donc, pour l’ensemble de l’UE : environ 15 000 étudiants
psychothérapeutes, soit de l’ordre de 500 instituts de formation spécialisés de dimension moyenne (20 à 40 étudiants par promotion). Cela semble correspondre approximativement au nombre estimé d’écoles ou instituts de formation fonctionnant actuellement en Europe.

Il suffirait donc qu’ils rejoignent tous les critères de qualité définis par le TAC (Training
Accreditation Committee) pour être agréés comme « EAPTIs ».

Ces objectifs ne sont donc pas irréalistes, et pourraient être atteints assez rapidement
si une directive européenne uniformisait les exigences pour la reconnaissance de cette
profession nouvelle — qui est plus qu’une simple spécialisation de professions voisines.

 

N’est-ce pas, d’ailleurs, pour cela que nous sommes réunis ici,

en Colloque, aujourd’hui ?…

Serge Ginger s.ginger@noos.fr
(environ 40 minutes)

Brève bibliographie
• ELKAÏM Mony & al. (2003). A quel psy se vouer ? Les principales approches. Le Seuil, Paris, 460 pages.
• GINGER Serge (2001). L’évolution de la psychothérapie en Europe de l’Ouest, Conférence
au Xe Congrès de l’EAP à Moscou, juillet 2001.
• GINGER Serge (2003). The Evolution of Psychotherapy in Western Europe
Moscow, in International Journal of Psychotherapy (IJP), vol. 8, Nr 2, July 2003; p. 129-139.
• GINGER Serge (2006). Psychothérapie : 100 réponses pour en finir avec les idées reçues, Dunod, Paris, 290 pages.
• GINGER Serge (2006). The Evolution of Psychotherapy in Europe, Tokyo, in International
Journal of Psychotherapy (IJP), vol.11, Nr 2, July 2007; p. 61-71.
• GINGER S.,MARC E., TARPINIAN A. & al. (2006). Être psychothérapeute. Dunod, Paris, 272 p.
• GINGER Serge (2009). The Evolution of Psychotherapy in Europe, Beijing, Oct. 2008, in
World Journal of Psychotherapy (WJP), vol.2, Nr 1, March 2009; p. 126-132
• KOCHER G. & OGGIER W. (2004). Système de santé en Suisse, Hans Huber, Berne, p. 263-276.
• NGUYEN Tan & al. (2005). Pourquoi la psychothérapie ? Dunod, Paris, 308 p.
• PRITZ Alfred & al. (2002). Globalized Psychotherapy, Facultas Universitätsverlag, Vienna, 852 pages.
• Revue de Psychologie de la Motivation, N°35, 2003. L'art d'aider. Psychothérapie, Culture, Société, 160 p.
• WebSite EAP : www/europsyche.org
• ZERBETTO Riccardo, TANTAM Dighby (2001) : Survey of European Psychotherapy Training,
in European Journal of Psychotherapy, Counselling & Health, Vol. 4, Nr 3, Dec. 01, p. 397-405.

Serge Ginger (Paris), « Registrar » de l’EAP
Psychologue, Psychothérapeute, formé en Psychanalyse, Gestalt et EMDR
Fondateur de l’École Parisienne de Gestalt, ou EPG
et de la Fédération Internationale des Organismes de Formation à la Gestalt (FORGE)
Professeur de neurosciences à la Sigmund Freud University de Paris
Secrétaire général de la Fédération Française de Psychothérapie et Psychanalyse (FF2P)
Pre Président de la Commission européenne d’accréditation des Instituts de formation à la
psychothérapie des 41 pays membres de l’European Association for Psychotherapy (EAP)

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